Georges Kavanagh et le Carricks
8 décembre 2025
Par Pierre Michaud
Membre de l’AQRP depuis 1998, Georges Kavanagh a été membre du conseil régional de la Gaspésie–Les Îles pendant 10 ans, dont 6 comme président, de 2010 à 2016. Dans un article publié dans la revue Magazine Gaspésie de juillet-octobre 2015, dont j’ai tiré des extraits, Georges, après avoir effectué des recherches, dont deux voyages en Irlande, nous parle de l’arrivée tragique de ses ancêtres en Gaspésie.
L’histoire entourant l’arrivée de mes ancêtres en sol canadien m’a toujours profondément touché. Très jeune, j’ai appris que j’étais de descendance irlandaise. D’ailleurs, la Saint-Patrick demeure une tradition bien ancrée dans ma mémoire. Tous les ans, tôt le matin du 17 mars, ornés de rubans verts, nous parcourions en voiture à cheval les quatre kilomètres qui nous séparaient de l’église, afin d’assister à la messe.
L’Irlande en 1847
Entre 1835 et 1855, la verte Irlande, qui est sous la domination britannique, vit une crise politique, sociale et économique importante… C’est l’époque de la « Grande famine » qui fera jusqu’à un million de morts. Pour plus de 2,5 millions d’Irlandais, il n’y a qu’une solution : fuir ! Fuir vers des lieux plus hospitaliers, là où il y a de l’espoir…
Un choix déchirant
Patrick Kavanagh, alias Pat Kaveney, et sa famille sont parmi ces 2,5 millions d’Irlandais désespérés. Fin mars 1847, Patrick Kavanagh, âgé d’environ 37 ans, son épouse, Sarah McDonald, environ 43 ans, et leurs 6 enfants, âgés de 1 à 12, abandonnent tout derrière eux…
Le Carricks
Le Carrick of Whitehaven, appelé le Carricks, a été construit en 1812. En 1847, il a donc 35 ans de navigation. C’était un voilier de bois à deux mâts conçus pour du transport de bois d’œuvre. Il pouvait accommoder de 8 à 10 hommes d’équipage.
La traversée
Le registre des passagers émigrants fait état de 173 passagers. En y ajoutant les membres de l’équipage, ils sont donc plus de 180 personnes, hommes, femmes et enfants, à bord du Carricks. Le 5 avril 1847, le navire quitte le port de Sligo et s’engage sur les eaux de l’Atlantique en direction de Québec. Pour les passagers entassés dans les cales, les conditions de vie à bord sont exécrables, voire inhumaines : promiscuité, pleurs des enfants, gémissements des malades, tangage du navire, craquement de la coque vieillissante, spectre de la maladie et de la mort… pendant des jours, des nuits et des semaines.
Le naufrage
La traversée de l’Atlantique n’aura duré que 22 jours. Dans la nuit du 27 au 28 avril 1847, alors que le navire s’apprête à remonter le fleuve Saint-Laurent, une tempête de vent, accompagnée de pluie et de verglas, frappe. C’est la catastrophe. Le Carricks se déchire sur les récifs, au bout de la pointe du Cap-des-Rosiers.
Au lendemain de cette nuit d’horreur, le bilan est désastreux : 87 morts retrouvés, enterrés dans une fosse commune. Mais 48 personnes survivent. De la famille Kavanagh, il ne reste que Patrick, son épouse Sarah et le fils Martin, âgé d’une douzaine d’années. Leurs cinq filles y ont perdu la vie.
Les survivants
Les survivants sont accueillis par des familles du village. Les Kavanagh passent l’été chez une famille Packwood et, à l’automne, s’installent à Cloridorme. À l’été 1848, la famille revient à Cap-des-Rosiers pour s’y implanter définitivement. Partis à trois, ils reviennent à quatre, Sarah ayant mis au monde un fils, Patrick junior, le 1er juin 1848.
Mais le malheur ne s’arrête pas là ! Le 16 mars 1855, comme il le fait tous les ans, Patrick part à pied, empruntant la Grande-Montagne, Grande-Grève et la baie gelée de Gaspé, en direction de Douglastown, pour y fêter la Saint-Patrick. Cette fois, il ne s’y rendra pas. On le retrouve quelques jours plus tard, mort gelé sur la baie en face de Cap-aux-Os.
Sarah McDonald, maintenant veuve, a un fils de 20 ans, trois autres fils de 7 ans et moins — dont Dominique, mon arrière-grand-père — et une fille, née trois mois après la mort de Patrick. Sarah meurt à Cap-des-Rosiers le 13 octobre 1889.
Hommage à Sarah
De cette histoire, celle qui mérite ma plus grande admiration, mon plus profond respect, ma plus adorable vénération, c’est cette femme que fut Sarah McDonald, mon arrière-arrière-grand-mère de la 5e génération. Elle et tant d’autres femmes de son époque ont été de grandes héroïnes de notre histoire, et ce, dans l’anonymat le plus total.
Georges Kavanagh, 2015
RÉFÉRENCES
- John McKeon, Sligo’s Famine Diaspora : Emigrants from Palmerston’s Sligo Estate, 1847, 2012.
- James J. Mangan, F.S.C., La traversée du Naparima, Carraig Books, Sainte-Foy, Québec, 1991.
- Ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux du Canada, La Grosse-Île-et-le-Mémorial-des-Irlandais, Patrimoine canadien, Parcs Canada, 1998.
- Guide Irlande, Libre Expression, Québec.