Le tourisme dans la région de Rivière-du-Loup au temps des bateaux blancs
28 mai 2025
Par Benard Cyr
Membre du conseil régional
Pendant un siècle, de 1850 à 1950, la région de Rivière-du-Loup, de Kamouraska à Cacouna, a été l’hôte de touristes de la haute société. Ils provenaient des grandes villes du Québec, de l’Ontario et de la Nouvelle-Angleterre. Ils arrivaient par bateaux à voiles, puis à vapeur (qu’on appelait « les bateaux blancs »), et enfin par train. Mais qui étaient-ils et que venaient-ils faire ici ?
En très grande majorité anglophones, ceux du Québec venaient de Montréal. Ils habitaient pour la plupart le Golden Square Mile, quartier délimité par les rues Sherbrooke, University et Guy et par l’avenue des Pins. À cette époque, 80 % de la richesse canadienne était gérée et possédée par les habitants de ce quartier. Ottawa et Toronto y ont envoyé des politiciens, et les villes de Boston et New York y ont eu une représentation. En 1928, les États-Unis ont ouvert un consulat à Rivière-du-Loup.
Dans les grandes villes de cette époque, il n’y avait pas d’infrastructures sanitaires adéquates, ce qui pouvait entraîner, surtout pendant les grandes chaleurs de l’été, l’apparition de maladies et même d’épidémies. Or nos rives du Saint-Laurent et leur air salin, la beauté de nos montagnes au nord et les couchers de soleil aux couleurs différentes de soir en soir ont fait rêver quelques premiers voyageurs, qui ont vite vanté les qualités estivales de nos lieux dans leur entourage, les appelant des « places d’eaux ».
Kamouraska, Notre-Dame-du-Portage, Saint-Patrice-de-la-Rivière-du-Loup, la pointe de Rivière-du-Loup et Cacouna étaient les destinations privilégiées de ces touristes. La progression fut rapide. À peine quelques années après l’arrivée des premiers estivants (1850-1860), Kamouraska avait fait le plein. La « Cour du parlement d’Ottawa » s’est ensuite installée à l’ouest de Rivière-du-Loup, à Saint-Patrice (St. Patrick), lieu découvert par le secrétaire parlementaire de J.-A. Macdonald, premier titulaire de la fonction de premier ministre du Canada.
Ces gens riches et célèbres s’arrachaient le moindre petit cran avec vue sur le fleuve, sans valeur pour l’habitant, pour y construire des villas, dont chacune faisait l’envie de ses voisines. Des hôtels apparurent : trois à Notre-Dame-du-Portage, trois à la pointe de Rivière-du-Loup et le plus grand à Cacouna, le St. Lawrence Hall, qui pouvait accueillir 600 personnes.
C’est à Cacouna que ce tourisme a laissé le plus de traces. De très belles villas ont été construites à partir de plans d’architecte. Chacune était nommée : Arlie, Villa Ross, Montrose, Pine Cottage (découpée en Angleterre et assemblée où elle est encore), et une dizaine d’autres que le circuit touristique de Cacouna vous permettra d’admirer.
Six premiers ministres canadiens et québécois ont été des estivants dans la région au cours de cette période, dont J.A. Macdonald et Louis Saint-Laurent.
La famille Allan, pendant trois générations, a passé ses étés à Cacouna. En 1863, Andrew ; puis son fils Alexander ; et plus tard le neveu d’Andrew, Montigue, qui s’y est fait construire une magnifique résidence de style néogéorgien, que lady Allan nommera Montrose. Montigue avait hérité de son père et de son oncle de la puissante Allan Line, composée de 32 transatlantiques transportant personnes, marchandises et courrier entre le Canada et la Grande-Bretagne.
Malheureusement, la famille de Montigue fut décimée par la Première Guerre mondiale. Aucun des quatre enfants ne survécut. La fille aînée, Martha, servait comme infirmière dans l’armée en Angleterre, et son frère, Hugh, comme lieutenant dans la Royal Air Force. Lady Allan décida d’aller les voir avec leurs deux sœurs, Emma Majory et Gwendoline Evelyn. Les trois femmes s’embarquèrent sur le RMS Lusitania, qui fut coulé par la marine allemande. Les deux sœurs perdirent la vie, Lady Allan s’en sortit. Deux ans plus tard, en 1917, Hugh disparut dans l’écrasement de son avion lors d’un bombardement. Après la mort des fillettes, les séjours des Allan à Montrose s’espacèrent. Martha décéda en 1942 d’une tuberculose après avoir fondé le Montreal Repertory Theater.
Après la mort de Martha, Montrose fut vendue 10 000 $ aux pères capucins et les autres biens furent cédés à des œuvres de charité. Après le décès de son épouse, M. Allan se retira dans une résidence pour personnes âgées.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette saga touristique qui influença la vie des habitants de notre région, leurs mœurs et leurs façons de construire, ainsi que sur la vie de ces touristes nantis pendant leurs séjours estivaux et sur les divertissements qu’ils affectionnaient… et qui ne laissaient pas les curés indifférents !
La pièce de théâtre des régions du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie—Les Îles qui porte un regard sur certaines conditions de vie des aînés prend forme. Des représentations auront lieu dans les villes suivantes en octobre 2025 :
- Rimouski, École Paul-Hubert, salle Michel-Leblanc, 15 octobre
- Rivière-du-Loup, Maison de la culture, 17 octobre
- Gaspé, Centre de création et de diffusion, 22 octobre
- Sainte-Anne-des-Monts, Maison de la culture, 23 octobre
Nous vous communiquerons d’autres renseignements à ce sujet au cours des prochains mois.