P.L.A.C.E.S. Une idée qui mûrit, un modèle qui se précise
8 décembre 2025
Par Jeannine Gagnon
Coordonnatrice, P.L.A.C.E.S.
Depuis quatre ans, l’équipe de P.L.A.C.E.S. – résidence pour retraités et préretraités travaille à mettre sur pied un modèle novateur d’habitation qui conjugue qualité de vie, autonomie, solidarité et sécurité financière. Nous avons franchi de nombreuses étapes, mais nous devons aujourd’hui composer avec des réalités juridiques et administratives complexes. Ces défis, loin de nous décourager, témoignent plutôt du caractère avant-gardiste de notre démarche.
Un projet qui sort des sentiers battus
P.L.A.C.E.S. n’est pas une résidence privée traditionnelle ni un OSBL d’habitation classique. Notre objectif est de créer un milieu de vie où les résidents sont à la fois acteurs et bénéficiaires : ils participent aux décisions, partagent la gouvernance et deviennent collectivement responsables de la pérennité du projet. Pour y arriver, nous avons choisi d’explorer un modèle encore peu connu dans le domaine du logement : la fiducie d’utilité sociale (FUS).
FUS ou OSBL : une différence de structure, mais aussi de philosophie
L’OSBL d’habitation est reconnu depuis longtemps dans le milieu du logement social et communautaire. Il peut recevoir des subventions publiques et bénéficie souvent d’exemptions fiscales, notamment sur les taxes municipales. Dans ce modèle, l’organisme est propriétaire des immeubles et en assure la gestion. Les résidents sont locataires, parfois membres de l’organisation, mais sans droit de propriété.
La FUS, quant à elle, est une structure juridique plus récente au Québec. Elle découle du Code civil et vise à protéger des biens ou des projets d’intérêt collectif à long terme. Dans notre cas, elle permettrait de garantir que P.L.A.C.E.S. demeure à jamais une résidence abordable, non soumise à la spéculation et au service de la communauté. Là où la FUS innove, c’est qu’elle permet d’intégrer des résidents propriétaires d’un droit d’usage (usufruit) plutôt que de simples locataires. Ce modèle hybride marie la stabilité d’un propriétaire et la solidarité d’un collectif. Les résidents investissent une part de leur capital pour habiter leur logement à long terme, sans spéculation ni enrichissement individuel à la revente. C’est un choix profondément éthique, conforme à nos valeurs de partage et de responsabilité.
Les défis du modèle choisi
Mais ce choix complexifie le développement. Au Québec, les municipalités et les programmes de financement sont encore peu adaptés à la réalité des FUS. Le Code civil reconnaît la FUS, mais la Loi sur la fiscalité municipale et plusieurs programmes de la Société d’habitation du Québec ou de la Société canadienne d’hypothèques et de logement n’y font pas encore référence. Résultat : contrairement à un OSBL, une fiducie ne peut pas automatiquement bénéficier d’exemptions de taxes ni être admissible à certains programmes de subventions.
De plus, le fait que nos futurs résidents deviennent en partie propriétaires de leur droit d’usage limite notre accès à plusieurs aides financières conçues exclusivement pour les projets locatifs. Les programmes actuels distinguent rarement la propriété spéculative et la propriété d’usage à finalité sociale. Nous nous retrouvons donc dans une zone grise juridique.
Un projet qui évolue, une vision qui demeure
Ces obstacles ne remettent pas en question la pertinence de P.L.A.C.E.S., au contraire. Ils montrent que notre initiative ouvre la voie à une nouvelle forme d’habitation citoyenne. Chaque rencontre avec la Ville, les institutions financières et les partenaires communautaires fait avancer la réflexion collective. Nous contribuons à faire connaître la FUS, à démontrer sa valeur et à inspirer des ajustements aux cadres légaux pour la favoriser.
Notre projet n’est pas figé : il évolue, s’enrichit. Nous envisageons désormais des partenariats mixtes, où un OSBL pourrait coexister avec la FUS pour faciliter l’accès aux programmes de financement et alléger la fiscalité municipale. Cette approche hybride offrirait le meilleur des deux mondes : la stabilité juridique et fiscale de l’OSBL, combinée à la vision à long terme et à la protection du bien commun offertes par la FUS.
Garder le cap et la foi
Bâtir un modèle inédit demande de la persévérance. Nous aurions pu choisir la facilité d’un modèle connu, mais nous croyons que les aînés d’aujourd’hui méritent mieux : un lieu où ils peuvent vivre selon leurs valeurs, dans le respect, la dignité et la participation. Nos démarches auprès des gouvernements et des municipalités visent justement à faire reconnaître que l’habitation citoyenne et non spéculative doit être soutenue au même titre que le logement communautaire.
P.L.A.C.E.S. avance. Nous avons trouvé un terrain, mobilisé des partenaires et tissé un réseau de soutien impressionnant. Les fondations du projet – humaines, sociales et idéologiques – sont bien ancrées. La suite dépendra de notre capacité collective à adapter les lois et les programmes à la réalité d’aujourd’hui, où la frontière entre locataire et propriétaire ne suffit plus à définir la solidarité.
En conclusion
Le chemin de P.L.A.C.E.S. est celui de l’innovation sociale. En choisissant la FUS et la propriété d’usage, nous assumons les défis que pose la nouveauté. Mais nous croyons que cette démarche inspirera d’autres régions, d’autres générations, et qu’elle contribuera à bâtir un Québec où le droit au logement et le bien commun marchent main dans la main.
Le rêve de P.L.A.C.E.S., c’est de bâtir un lieu pour bien vieillir – ensemble, autrement, durablement. Et ce rêve, chaque pas que nous faisons le rend un peu plus réel.