Lettre ouverte - Une oreille sur deux: le coût du silence

10 décembre 2025

Prothese Auditive

Dans un Québec qui vieillit, un enjeu de santé publique silencieux, mais bien réel, prend rapidement place : la perte auditive. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) un individu sur quatre en souffrira d’ici 2050. Déjà, près de 10 % de la population générale et 30 % des adultes de plus de 60 ans sont atteints.

Chaque jour, des milliers de personnes vivent avec une perte auditive, mais toutes ne sont pas égales devant l’accès aux soins. Le programme actuel d’aides auditives de la RAMQ exclut une partie importante de la population, laissant de nombreux Québécois·es sans la prise en charge dont ils auraient besoin pour maintenir leur santé, leur autonomie et leurs liens sociaux.

Pour une réforme au bénéfice de la santé auditive collective

Cette iniquité touche principalement les personnes retraitées, les personnes sans emploi et celles inscrites à un programme d’études non reconnu par le ministère. Pour ces groupes, la RAMQ ne rembourse qu’une prothèse sur deux en cas de surdité bilatérale. Et si la personne est malentendante d’une seule oreille, aucune prothèse n’est couverte. Seuls les enfants et les étudiants inscrits à un programme reconnu peuvent obtenir un remboursement pour un appareil en cas de surdité unilatérale.

Les conséquences sont lourdes. Les personnes malentendantes renoncent à s’équiper ou retardent leur appareillage, avec des effets réels sur leur qualité de vie, leur santé et leur sécurité. Lorsqu’elle n’est pas corrigée adéquatement, la perte auditive, même à une seule oreille, peut accentuer les risques de détérioration cognitive, d’anxiété, d’isolement social ou de chutes. Au fil du temps, elle prive les personnes concernées de repères essentiels, complique leurs échanges quotidiens et peut, trop souvent, compromettre leur autonomie.

La majorité des pertes auditives touchent les deux oreilles. Pourtant, plusieurs personnes vulnérables ne reçoivent qu’une compensation pour une seule prothèse. Concrètement, cela signifie qu’un jeune adulte vivant avec une trisomie 21, inscrit dans un programme d’adaptation scolaire qui ne mène pas à un diplôme officiel, n’y a pas droit. Toutefois, si cette personne a obtenu un appareillage auditif avant l’âge de 19 ans, elle bénéficiera d’un droit acquis qui lui permettra d’avoir des appareils auditifs couverts pour les deux oreilles toute sa vie. Un autre exemple, une jeune femme aux prises avec une maladie, momentanément retirée du marché du travail ou bénéficiant de l’aide sociale, se voit elle aussi exclue de cette couverture essentielle. Même une personne qui approche de la retraite doit parfois s’appareiller en urgence avant de quitter son emploi, car elle perd son admissibilité une fois retraitée.

En limitant la couverture, on laisse entendre qu’« entendre à moitié » devrait suffire. Pourtant, les conséquences d’une perte auditive sont beaucoup plus vastes qu’on ne le croit. Elles touchent non seulement la communication, mais aussi la participation au marché du travail : les personnes malentendantes rencontrent davantage d’obstacles pour garder un emploi ou réintégrer la vie professionnelle, ce qui a des effets directs sur leur autonomie financière et leur qualité de vie.

Les impacts sur la santé et l’ensemble du réseau sont tout aussi importants. La perte auditive est aujourd’hui reconnue comme un facteur de risque modifiable de démence, et une atteinte plus sévère augmente clairement ce risque. Elle est aussi liée à une hausse des chutes, chez les aînés particulièrement, alors qu’un appareillage adapté peut contribuer à réduire ces incidents et d’améliorer considérablement le quotidien.

L’appareillage auditif devient ainsi un véritable levier : il agit sur des dimensions souvent sous-estimées et contribue à prévenir des complications lourdes, tant sociales que cliniques, tout en réduisant la pression sur le système de santé.

C’est précisément là que la situation actuelle pose problème. En limitant la compensation, on se retrouve avec une mesure qui crée non seulement une inégalité d’accès aux soins, mais qui en réduit aussi l’efficacité. Cela vient contredire l’objectif même du programme d’aides auditives du Québec : soutenir la santé auditive, faciliter la communication et favoriser la participation sociale des personnes atteintes.

Pour que le système réponde réellement à la réalité clinique et protège la santé auditive de tous, le gouvernement du Québec se doit d’élargir la couverture de la RAMQ afin de garantir un accès réel à une correction auditive. Autrement dit, chaque oreille présentant une perte auditive doit pouvoir être appareillée. Cette bonification du Programme d’aides auditives permettrait enfin de compenser l’achat, la réparation et le remplacement d’une prothèse pour chaque oreille nécessitant une correction, réduisant ainsi les conséquences néfastes et permanentes d’une surdité non traitée, qu’elles soient physiques, sociales ou économiques.

Parce que chaque mot, chaque voix, mérite d’être entendu : la santé auditive n’est pas un luxe, c’est une nécessité.

Sont cosignataires de la lettre :

·       Association québécoise de défenses des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR Roberval)

·       Marie-Philippe Rodrigue, présidente et Marie-Eve Beaulieu, vice-présidente de l’Association québécoise des orthophonistes et audiologistes (AQOA)

·       David Gélinas, président de l’Ordre des audioprothésistes du Québec (OAQ)

·       Paul-André Gallant, président de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (OOAQ)

·       Jeanne Choquette, présidente d’Audition Québec

·       Claire Moussel, directrice générale, Association du Québec pour enfants avec problèmes auditifs (AQEPA Provinciale)

·       Lucie Nault, directrice générale de Réseau québécois pour l'inclusion sociale des personnes sourdes et malentendantes (ReQIS)

·       Nathalie Mercier, directrice générale de la Société Alzheimer Haut-Richelieu